Ce que les anciens ont à nous apprendre sur les pandémies

L'épidémie de la peste à Athènes et le changement de civilisation
Quand ce qui donne la vie la retire: le meurtre du roi Penthée par sa propre mère dans la fureur des Bacchanales.

« Nous en avons fait l’expérience récente, les périodes de crise engendrent leurs lots d’incertitudes et de difficultés. Éprouvantes, fatales parfois, elles nous confrontent à nos limites et mettent à mal les principes d’économie et autres paroles d’Évangile de nos dirigeants. Mais, depuis plus de 2 000 ans de modernité, sa politique du refoulement progresse, aussi résistante qu’inconsciente, inéluctablement, semble-t-il. Une fois de plus, elle se nourrira du mal pour reprendre le dessus, du moins en apparence. Une progression qui ne va pas sans mobiliser les mécanismes collectifs et individuels de refoulement en lieu et place d’une intégration des événements. Mais ces refoulements et oublis laissent une dette, laquelle se transmet de manière transgénérationnelle (et-ou épigénétique), nous condamnant au constant effort de sublimation si caractéristique de nos sociétés modernes et de leurs fuites en avant.
La surenchère moderne
Particulièrement sollicités en temps de crises, les mécanismes de refoulement et d’oubli pourraient nous échapper tant ils opèrent à notre insu et nous font perdre de vue certains aspects du monde d’avant la crise. Des nouvelles règles sont établies, que les enfants apprennent de leurs parents sans toujours connaître celles des précédentes générations. Des libertés sont restreintes, des modes de vie modifiés, des nouvelles manières de travailler (à distance) se développent, des surveillances inédites voient le jour et des lois votées pour asseoir de nouvelles sanctions. Le vocabulaire aussi évolue, des mots anciens sont remplacés par de nouveaux termes qui collent aux changements provoqués par la crise. Quelles en sont les conséquences en termes d’oubli du monde d’avant la crise ? Et quelles sont les adaptations provisoires qui perdureront au-delà de la période de crise, et dont l’importance nous échapperait du fait même des processus de refoulement et d’oubli ?
Si les crises ne sont pas à elles seules responsables des changements dans les sociétés, il semble bien qu’elles précipitent certaines tendances. L’histoire ainsi se construit autour d’événements marquants, tels des curseurs du temps qui donnent la mesure des transformations de la société.
Sous le coup du traumatisme collectif lié au coronavirus, de nouvelles règles se sont imposées d’autant plus facilement qu’elles devaient permettre de contrôler l’évolution du mal – dont on ignore néanmoins à peu près tout. Devant le virus qui échappe à toute prédiction, c’est clairement le discours du « surmoi » qui s’impose pour une surenchère des moyens de contrôle, quitte à en légitimer de nouveaux. Il faut assujettir le micro-organisme et conjurer ses libertés, surtout qu’il voyage sans ticket partout sur la planète. Les mesures et conséquences pleuvent : fermeture des frontières, confinement, funérailles bâclées, contrôles et répressions, hégémonie du discours spéculo-scientifique, statistiques quotidiennes (peu importe leur fiabilité et leur comparabilité), etc.
Rien de nouveau, voici donc revenu le temps d’une piqûre de rappel pour une société pourtant déjà dopée et tyrannisée par son propre surmoi. Drones policiers, menace de vaccination obligatoire, surveillance et géolocalisation, 5G, un coup de fouet pour développer des nouvelles technologies avec la promesse de juteux bénéfices. Autant faire d’une pierre deux coup, puisqu’en plus de garantir le bien de chacun et de tous, la répression est bonne pour l’économie. Ainsi, même si à chaque vague d’épidémie quelque chose est perdu, la fuite en avant de la modernité saura compenser les pertes. Une fois de plus, ce sera un mal pour un bien.
Sur le modèle du développement de la médicalisation des populations, chaque symptôme devient une opportunité pour développer les solutions favorables au développement économique du monde moderne. Les antidépresseurs sont prescrits à tour de bras, surtout en période de crise, et à une population de plus en plus jeune. Il suffit de positiver. La fin justifie les moyens. Pour l’économie, il est intéressant de développer les bonnes maladies, c’est-à-dire rentables sans être mortelles. La pollution des eaux que cette consommation galopante entraîne permettra de développer le commerce des eaux minérales. Où est le problème ? Il est sorti des écrans radars, noyé dans les eaux, les statistiques n’en parlent plus, on a voulu le faire disparaître et c’est gagné, une fois de plus !
Pour qu’elles soient efficaces, il faudrait même que les mesures prises fissent plus mal que le mal redouté, c’est une question de transfert. Comme en thérapie. Reste l’inconnue quant au besoin de maintenir ces mesures et-ou de la capacité de traverser et d’intégrer l’ensemble des événements et des souffrances provisoirement évités ou soulagés (par le transfert et son prix). Faut-il généraliser ces règles en faisant siennes les nouvelles décisions politiques, ou risquer l’opprobre en appelant au rétablissement des libertés perdues ? Car, entre-temps, le monde a perdu ses couleurs, au lavage la vie s’est même rétrécie, et ceux qui se le rappellent passent pour des rabat-joie. »

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