L’art de la thérapie consiste autant à reconnaître qu’à entendre ce qui est dit d’une situation ou d’une souffrance, mais sans s’y arrêter pour autant. Pour bien accueillir cette parole, ou ce narratif, l’entendement de ce qui se trame derrière les apparences semble indispensable.
L’examen et la clarification de l’arbre de famille comme une voie vers la connaissance de soi.
Si l’analyse des rêves est assurément une des voies royales vers le sujet inconscient en soi, l’analyse des histoires non terminées dans les précédentes générations apparaît elle aussi comme une des principales artères vers le coeur de soi-même. Peut-être la plus importante.
Extrait du livre: Intégrer ses héritages transgénérationnels (Génésis Editions)
« Mario vient me consulter car il ne se sent pas à sa place et se trouve en difficulté financière. Depuis l’enfance il dit craindre aussi bien des possibles violences à son égard que ses propres pulsions agressives envers ces agresseurs fantasmés. En particulier, il est très mal à l’aise lorsqu’il doit franchir la frontière, craignant d’être emprisonné et accusé à tort, sans parvenir à prouver son innocence. »

« Dans un premier temps, l’analyse de son arbre de famille l’amène à mieux comprendre les manques de transmission des histoires de ses aïeux Italiens pendant la guerre, les relations ambivalentes envers le régime fasciste et le changement de gouvernement qui s’est rallié à la coalition – faisant des alliés d’hier les ennemis d’aujourd’hui. Toutes ces clarifications aident Mario qui réalise à quel point ces histoires non terminées avaient influencé sa vie. Puis soudain, il découvre la vie d’un aïeul qui était un personnage public très controversé. Il était le représentant du mouvement fasciste en Suisse et entretenait des liens très étroits avec les dirigeants Italiens. À la fin de la guerre, pour éviter l’escalade de la haine le gouvernement Suisse l’a fait expulser.
Le père de Mario n’avait jamais entendu parler de cette histoire pourtant contemporaine de la jeunesse de son propre père. La découverte de cette importante partie de l’histoire de sa famille soulage Mario qui comprend d’où lui venaient certains de ses problèmes. Il s’explique aussi mieux ses conflits exacerbés pendant son adolescence avec toutes ses questions de loyauté et d’appartenance à des groupes rivaux. La découverte de ce qui l’aliénait inconsciemment lui permettra de revenir à lui-même et de relativiser certaines idées et options professionnelles qu’il considérait jusqu’alors comme définitives. Ce que d’autres lui avaient déjà conseillé de faire sans qu’il puisse jusqu’ici l’accepter, c’est maintenant de lui-même qu’il y pense. En d’autres termes, c’est en devenant plus lui-même qu’il peut mieux juger de sa situation actuelle et imaginer de nouvelles pistes pour la faire évoluer.
Comme cet exemple l’illustre, le bénéfice thérapeutique d’un travail d’intégration transgénérationnel ne dépend pas des croyances, d’explications, ou d’un renforcement de l’ego par toutes sortes de stratégies possibles et imaginables pour combattre les symptômes (et risquer de les voir revenir en pire, ou de les transmettre à la prochaine génération). Au lieu de simplement juger les expériences de vie au niveau des apparences, il s’agit plutôt d’en pénétrer la signification pour les traverser et les faire entrer dans le registre de son histoire. Au passage, nous pouvons en tirer un enseignement qui devient alors lui-même transmissible. »

De l’essence et des apparences dans le taoïsme
Partage d’un sujet de méditation poétique en cours: Extrait d’un dialogue dans le « Traité du vide parfait » Lie Tseu (Albin Michel)
« À une époque où Lao Chengzi étudiait la magie chez Yin Wen, ce dernier ne dit pas un mot pendant trois ans. Lao Chengzi demanda quelle était sa faute, ainsi que la permission de partir. Yin Wen s’inclina, fit entrer Lao Chengzi dans son bureau, éloigna les domestiques et rapporta les propos que lui tint longtemps auparavant Laozi à son départ pour l’Ouest :
«Souffles vitaux et formes corporelles ne sont qu’apparences. Le commencement de la création et des métamorphoses, les transformations du Yin et du Yang s’appellent respectivement naissance et mort. Les nombreuses grandes transformations, les mutations successives des formes s’appellent respectivement métamorphoses et apparences. L’ingéniosité et le travail de qui crée les êtres sont respectivement subtile et profond, il leur serait difficile d’être bornée, fini. L’ingéniosité et le travail de qui forme sont respectivement apparente et simple, conforme à ce qui naît, à ce qui s’évanouit. Connaître les apparences et les métamorphoses, c’est ne plus percevoir la différence entre la naissance et la mort, c’est commencer à pouvoir étudier la magie. Toi et moi sommes des apparences. Est-il nécessaire d’étudier? >>
Et Lao Chengzi rentra chez lui, médita ces paroles pendant trois mois. Il put surmonter la vie et la mort, permuter les saisons, faire tonner en hiver et geler en été, faire voler les pédestres et marcher les oiseaux, et inversement. Jamais, de sa vie, il ne montra ses talents, c’est pourquoi il demeura inconnu de ses contemporains.
Liezi dit : «Qui transforme bien utilise des méthodes cachées, accomplit les tâches du commun des mortels. L’Efficace des Cinq Empereurs, les tâches des Trois Rois ne furent pas nécessairement les résultats de leur sagesse et courage, mais peut-être le résultat de métamorphoses et de succès. Qui le comprend?>>
La veille se manifeste de huit façons, les rêves se divisent en six états. Événement, action, réception, perte, deuil, joie, naissance et mort sont les huit façons, dont chacune se manifeste dans le monde des formes. Calme, agité, provoqué par des pensées, éveillé, agréable, angoissant sont les six états, dont chacun apparaît dans le monde de l’esprit.
Qui ne saisit la cause des transformations ignore l’origine des événements, qui saisit la cause des transformations connaît l’origine des événements. Connaître l’origine évite la tristesse. Un corps, plein ou vide, en mouvement ou au repos, communique avec l’univers, avec les autres êtres.
C’est pourquoi un fort souffle du Yin fait rêver à la traversée d’une grande étendue d’eau, effraie; un fort souffle du Yang fait rêver à la traversée d’une grande étendue de feu, donne chaud; de forts Yin et Yang font rêver à la naissance et à l’assassinat, la satiété fait rêver que l’on offre, la faim fait rêver que l’on reçoit, la folie des grandeurs fait rêver d’ascension, la mélancolie fait rêver de noyade, dormir avec une ceinture fait rêver de serpents, avoir un cheveu emporté par un oiseau fait rêver de voler, s’approcher du Yin fait rêver au feu, couver une maladie fait rêver de nourriture, boire du vin donne des rêves tristes, chanter et danser fait pleurer en rêve.
Liezi dit: « La rencontre d’esprits, c’est le rêve, le contact des formes, c’est la réalité. C’est pourquoi les pensées diurnes et les rêves nocturnes touchent les corps et les esprits. C’est pourquoi les pensées et les rêves se dissipent d’eux-mêmes chez qui concentre son esprit. Croire au réel sans instruire et croire aux rêves sans comprendre sont les aléas des transformations. Les hommes véritables de l’Antiquité s’oubliaient dans la veille, dor- maient sans rêver. Ces propos n’expriment-ils pas le vide ?

Liezi chevauchant le vent